Maupihaa, nouveau regard sur la liberté

« Ia Ora na Adrienne.
– Ia ora na Margot. Alors vous partez demain ? »
Oui, nous quittons la Polynésie après près de dix mois à sillonner ses îles et atolls. Maupihaa, notre dernière escale, m’a fortement marquée, à cause de ses habitants. Sept personnes vivent sur cet atoll isolé, situé à l’extrémité ouest des îles de la Société.

Nous sommes arrivés ici après une escale de 3 semaines à Maupiti, pendant laquelle nous avons finalisé nos préparatifs pour un nouveau voyage, celui du retour vers la Bretagne.
Quand Elsa Triolet décrit l’île, dans son ouvrage « A Tahiti », elle file la métaphore de la forteresse, l’île et sa montagne, cerclée d’un lagon – les douves – et d’un récit coralien, les remparts, dangereux pièges pour les assaillants. Une forteresse c’est à fois un abri et une prison, et quand la houle se lève sur l’océan Pacifique, cette comparaison s’avère très juste. En effet, les voiliers n’essaient pas de sortir de Maupiti quand les vagues montant du sud, dépassent 2 mètres. Ils attendent, abrités dans la lagon, parfois assez longtemps !
A Maupihaa, la passe qui permet d’entrer dans le lagon est mieux orientée, au nord, mais elle très étroite et le courant, toujours sortant, est si fort qu’il peut parfois empêcher d’entrer. Nous avons donc choisi une fenêtre météo qui nous permettrait d’emprunter ces deux passes réputées difficiles, et d’attendre là bas une nouvelle fenêtre pour avancer vers les Samoa. Pas de vent, un gros front orageux qui passe pendant 2 jours, à nouveau pétole… Nous attendons des alizés honnêtes, pour franchir les 1000 milles qui nous séparent d’Apia, mais la météo n’est pas avec nous !
C’est donc d’abord un sentiment de détention, d’immobilisation que je ressens à notre arrivée à Maupihaa. C’est si compliqué d’y venir et d’en repartir ! Après tout, certaines îles, de Sainte-Hélène à Guantanamo font ou ont fait de très bonnes prisons n’est ce pas ? …

Nous débarquons sur la plage, où habitent Carina et sa mère Adrienne. Elles nous offrent de nous assoir et de boire des cocos, Agathe et Suliac sont ravis et gambadent parmi les canards, chiens et Bernard l’hermite qui vivent là eux aussi. Spontanées, généreuses, elles n’en font pas « trop » non plus et nous laissent parfaitement libres à leur contact.
Le fare suivant, en descendant le motu est habité par Arii. Continuez sur le chemin d’environ 7 kilomètres, vous trouverez Opopu et Isabelle, un peu plus loin, Pierre, et tout au bout Hina, ces quatre derniers vivent plus isolés.
Nous avons passé 8 jours dans le lagon et chaque jour, nous nous promenions sur le motu et passions un petit moment avec Arii ou avec Carina et Adrienne. Ces rencontres m’ont beaucoup touchée. Je décrirais leurs tempéraments avec des mots comme équilibre, constance, disponibilité. Ces traits sont communs à beaucoup de Maoris croisés ces derniers mois. Si j’avais fait ce choix de vivre loin sur une île, je crois que je houspillerais quiconque viendrait troubler ma retraite. Je les questionne. « Les bateaux arrivent chaque année en mai et en octobre c’est fini. Ils apportent souvent des choses parfois même des gens de Maupiti, on les accueille, on se rend service. »

Inutile de dire qu’il n’y a pas de réseau à Maupihaa ! La coopérative qui gère le coprah a installé un téléphone iridium en cas d’urgence, un bateau de la commune, Maupiti, vient 3 fois par an pour le ravitaillement, et les habitants qui le souhaitent retournent à Maupiti passer un mois ou deux à la fin de l’année. C’est l’occasion de prendre des nouvelles des enfants, petits-enfants.
La nature, tant dans le lagon que sur le motu est généreuse, le climat est agréable. Le travail du coprah (bien qu’assez rébarbatif selon moi) laisse assez de temps libre pour les travaux du quotidien : entretenir le fa’a’apu, réparer le toit du fare qui s’est envolé au dernier coup de vent, discuter avec les voyageurs de passage, pêcher des langoustes… Une vie intense finalement, centrée sur l’essentiel, vécue au moment présent.
Une addiction à déplorer malgré tout ? Celle du sucre, fléau polynésien… A chaque fois que je vois Suliac ou Agathe trottiner vers le fare où Carina cuisine, ils en ressortent avec un gâteau type Oreo dans la bouche ! Mais d’où sortent elles tout ce stock ?…

L’isolement favorise-t-il la liberté ? Ce qui est certain, c’est que tous les habitants de l’atoll ont choisi de vivre ici et comme cela. Pour certains c’est une vie d’ermite, pour d’autres non. Adrienne, Carina et Arii sont protestants, adventistes. Mais l’ascèse n’est pas une quête, car ils ne manquent de rien, ne font pas de sacrifice en choisissant de vivre ici. Carina a fait des études d’économie et gestion à Tahiti avant de choisir de revenir sur ce motu où elle avait en partie grandi. Elle est la plus jeune, je lui demande si elle se voit ici pour toujours ? Elle rit : « On verra, je m’y sens bien. »

Merci Carina ! J’emportai de toi ta disponibilité tranquille et ton détachement serein, j’essaierai de m’inspirer de ta constance d’humeur et de mettre tout cela en pratique dans le voyage qui continue pour nous.

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